- THÈBES DE BÉOTIE
- THÈBES DE BÉOTIEThèbes est située en Béotie, au nord du fleuve Asopos. Son acropole, la Cadmée, domine d’une centaine de mètres une plaine très fertile, arrosée par l’Isménos et la Dircé, deux petits cours d’eau aux sources renommées qui confluent au nord de la ville et se jettent dans le lac Hyliké. Cette plaine donne en abondance des céréales et permet d’élever du gros bétail et des chevaux (Pindare chantera dans sa VIe Olympique «Thèbes dompteuse de chevaux»). La prospérité du terroir explique la solidité de ses habitants, bons cavaliers et bons fantassins. D’autre part, cette acropole aisée à défendre a des communications faciles avec le Péloponnèse et l’Attique, avec la Béotie orientale et les ports d’embarquement vers l’Eubée, avec la Béotie occidentale et Delphes, avec la Grèce du Nord enfin.Mise à part Orchomène, qui lui disputa longuement l’hégémonie, Thèbes l’emporte de loin sur les autres cités entre lesquelles est morcelée la Béotie par l’étendue et la fertilité de son territoire, par le nombre de ses habitants, par ses ressources. Elle en profite pour établir son hégémonie sur elles grâce à la confédération béotienne. Ainsi s’explique la puissance dont elle jouit à plusieurs époques, notamment au début du IVe siècle avant J.-C., qui fut pour elle le temps d’un bref mais brillant apogée.Le second millénaireLa Cadmée, acropole autour de laquelle s’est constituée la ville de Thèbes, est occupée depuis la fin du IIIe millénaire, comme en témoignent les trouvailles de céramique dite Urfiniss. Au début du IIe millénaire surviennent les premiers envahisseurs grecs, sans doute des Ioniens, qui ont laissé de la céramique minyenne. Vers le milieu du millénaire intervient une nouvelle vague grecque, celle des Éoliens. À l’Helladique récent, Thèbes, centre d’un important royaume mycénien, connaît un premier apogée. L’acropole est ceinte de remparts. Un palais royal est élevé (le «palais de Cadmos»), édifice sans mégaron et qui dénote surtout des influences crétoises, avec ses nombreuses cours et ses magasins importants; on a retrouvé des fragments des fresques qui décoraient ses murs (procession de femmes) et des amphores avec inscriptions en linéaire B. La réalité des contacts avec l’Orient est révélée par les cylindres-sceaux portant des inscriptions cunéiformes qui viennent d’être exhumés et dont l’un mentionne un roi de Babylone du XIVe siècle. De vastes nécropoles mycéniennes ont été découvertes à Kolonaki et à l’Isménion (sanctuaire du héros Isménios).L’importance de la Thèbes mycénienne est aussi manifeste par l’abondance des mythes qu’on y rencontre. On faisait remonter son origine au Phénicien Cadmos qui l’avait peuplée en semant les dents d’un dragon. Amphion et Zéthos l’avaient munie d’une forte muraille percée de sept portes. Le cycle le plus célèbre, analogue à celui des Atrides pour Mycènes, est celui des Labdacides, centré autour d’Œdipe, fils de Laios, et de ses enfants, Antigone et ses frères, les frères ennemis Etéocle et Polynice: souvenir d’une dynastie d’époque mycénienne, ce «cycle thébain», qui intervient fort peu dans Homère, a donné lieu à une vaste floraison épique, dont il ne reste que des fragments; il inspirera largement la tragédie attique. D’autres légendes ont aussi des localisations thébaines: celle de Dionysos, fils de Zeus et de Sémélé, elle-même fille de Cadmos; celle d’Héraclès, né à Thèbes et marié à la fille du roi de Thèbes Créon, Mégara, dont il tue les enfants dans un accès de folie.La cité archaïqueLes grandes migrations de la fin du IIe millénaire ébranlent profondément la Béotie. Des envahisseurs appartenant aux peuples du nord-ouest, proches des Doriens, s’y installent, mais ils se mêlent aux populations éoliennes antérieures, auxquelles ils empruntent leur dialecte. Il ne se constitue donc pas deux classes antagonistes, vainqueurs et vaincus, comme c’est le cas à Sparte.C’est dans ce peuple béotien, qui a toujours gardé le sentiment confus mais fort d’une communauté d’origine, très nette en particulier dans le domaine religieux, que s’opère, sans doute à partir du VIIIe siècle, la cristallisation des cités. Thèbes se révèle très vite comme l’une des plus puissantes par son étendue, par son peuplement, par sa prospérité. Elle est dominée par les aristocrates, grands propriétaires fonciers, mais elle permet, peut-être dès la fin de la période archaïque, aux commerçants ayant abandonné le commerce depuis dix ans d’accéder aux magistratures. Elle entretient de bonnes relations avec certains tyrans, Clisthène de Sicyone et Pisistrate d’Athènes, qu’elle aide à récupérer le pouvoir.Ses cultes sont très vivaces, comme l’ont montré les fouilles de trois sanctuaires suburbains: celui du héros local Ismenios où deux temples, géométrique et archaïque, se succèdent; celui d’Amphiaraos, héros capital du cycle thébain, où les offrandes s’accumulent depuis l’époque mycénienne jusqu’au Ve siècle; celui des Cabires, doté d’un temple au VIe siècle et lui aussi très fréquenté, si l’on en juge d’après le nombre des ex-voto retrouvés.Thèbes réussit à détrôner sa rivale la plus forte, Orchomène, puis elle vise à constituer sous son hégémonie une confédération béotienne: c’est chose faite dans le troisième quart du VIe siècle avant J.-C. On voit alors apparaître en Béotie un double monnayage, portant au droit un bouclier béotien et au revers un carré creux: monnaies fédérales avec BO (abréviation de Boiotoi ) en monogramme, monnaies des différentes cités confédérées, dont Thèbes. La confédération triomphe des Thessaliens à Kéressos (à une date mal déterminée), mais, alliée aux Péloponnésiens et aux Eubéens, elle est défaite par Athènes en 506 avant J.-C. Son attitude est particulièrement équivoque lors des guerres médiques, où les cités béotiennes «accordent la terre et l’eau à Xerxès» (c’est-à-dire reconnaissent sa suzeraineté) et combattent à ses côtés à Platées (479).L’effacement et l’apogée de l’époque classiquePrivée par les Grecs victorieux de son hégémonie sur la Béotie, Thèbes mène une vie très effacée jusqu’en 447, peut-être toujours sous un gouvernement aristocratique. C’est l’époque de l’apogée du plus glorieux de ses fils, Pindare, dont les Odes triomphales célèbrent les jeunes aristocrates vainqueurs dans les jeux panhelléniques. Ses artistes ne sont pas non plus sans vigueur: elle possède une bonne école de sculpture, dont les stèles votives et funéraires seront imitées à Athènes même.À l’occasion de la «première guerre du Péloponnèse », Thèbes reprend un rôle important, au côté de Sparte. Elle est victorieuse d’Athènes à Tanagra, puis défaite à Oinophyta (457) et à nouveau victorieuse à Coronée (447). Elle en profite pour reconstituer la confédération béotienne (447) en lui donnant une structure solide. Le gouvernement fédéral est composé de 11 béotarques et d’un conseil de 660 membres; Thèbes, qui dispose de 4 unités sur 11, jouit d’une autorité incontestée; dans chaque cité, les conseils ne comprennent que les citoyens jouissant du cens de l’hoplite, ce qui marque bien le caractère d’aristocratie modérée qui est le propre de cette constitution.Dans la guerre du Péloponnèse, Thèbes combat avec Sparte, qui l’aide à s’emparer de Platées, vieille alliée d’Athènes, qui est atrocement rasée (427). Elle triomphe des Athéniens à Délion (424) et renforce sa puissance en Béotie en démantelant Thespies et en lui imposant un gouvernement aristocratique. Elle participe aux razzias menées contre les campagnes attiques et en tire de considérables profits.Lors de la paix de 404, elle réclame en vain qu’Athènes soit rasée et transformée en pâturage. Cette guerre de trente ans ne lui a pas été inutile, puisqu’elle lui a permis de renforcer son hégémonie sur la Boétie et de s’enrichir. Mais c’est Sparte qui remporte la véritable victoire. D’où l’aigreur de Thèbes qui se sépare de son alliée. On en arrive vite à la rupture: la guerre de Corinthe (395-386) unit contre Sparte Thèbes, Argos, Corinthe et Athènes en un renversement complet de la situation. Cette guerre est d’autant plus désastreuse pour Thèbes que la «paix du Roi» qui la termine stipule l’autonomie de toutes les cités, donc la dissolution de la confédération béotienne, instrument de la puissance thébaine. Thèbes est asservie à Lacédémone, qui occupe la Cadmée en 382.Au moment où Thèbes semble ainsi isolée et humiliée, elle se ressaisit et atteint l’apogée de son histoire. Elle reconstitue la confédération béotienne, qui devient plus démocratique que pendant la période 447-386: au conseil fédéral se substitue l’assemblée du peuple (damos ) groupant les citoyens de toutes les cités; Thèbes dispose de 4 unités sur 7. Une nouvelle équipe dirigeante apparaît avec Gorgidas, qui réorganise l’armée, et Épaminondas, qui se révèle un admirable stratège. En 371, Thèbes défait, à Leuctres, Sparte l’invincible.Épaminondas profite largement de ce succès, suivi dans le Péloponnèse de mouvements de sécession parmi les alliés de Sparte. Il libère la Messénie et lui donne une nouvelle capitale, Messène; il aide les Arcadiens à s’organiser et à prendre, pour capitale fédérale, Mégalopolis. Il lutte en Thessalie, en Béotie où tous les citoyens d’Orchomène sont massacrés, dans le Péloponnèse surtout. Thèbes, qui a reconstruit les remparts de son acropole en beaux murs isodomes percés de sept portes et qui s’est même donné une marine de guerre, succède à Athènes et à Sparte dans l’hégémonie sur les cités grecques et jouit à son tour de l’appui du Grand Roi. Mais Athènes et Sparte, réconciliées devant le péril thébain, rassemblent une vaste coalition: à Mantinée (362), l’affrontement est général. Épaminondas périt en pleine mêlée.Pendant tout le IVe siècle, l’art reste vivant à Thèbes: la production de stèles continue; une école de peinture apparaît, dont les représentants les plus connus sont les deux Aristide. La victoire de Leuctres est l’occasion d’une consécration importante de la cité dans le sanctuaire de Delphes: un magnifique trésor de calcaire, le plus grand des trésors delphiques, d’une architecture pure et sobre.La déchéanceLa mort d’Épaminondas rabaisse aussitôt Thèbes au rang d’une puissance secondaire. Thèbes cherche à établir son autorité sur ses voisins phocidiens dans la troisième guerre sacrée (356-346), mais elle ne peut la finir, après bien des vicissitudes, qu’en faisant appel à Philippe de Macédoine, trop heureux d’intervenir dans les affaires helléniques. Elle a rétabli sa prépondérance dans la Grèce centrale, mais en commettant une énorme imprudence.Dès 340, les initiatives dynamiques du Macédonien la forcent à se rapprocher d’Athènes. En 338, Démosthène la persuade de se joindre à Athènes contre le roi: les deux cités alliées sont complètement défaites à Chéronée. Philippe, modéré, se contente de priver Thèbes de son hégémonie sur la Boétie. Mais, après s’être dotée d’une vaste enceinte fortifiée de sept kilomètres de tour, qui englobe pour la première fois la ville basse, elle se révolte contre Alexandre. Elle est prise et rasée à la seule exception de la maison de Pindare et des temples (335).Thèbes n’est plus désormais qu’une ville sans importance. Elle peut néanmoins se relever de ses ruines grâce à un édit du roi Cassandre (316): Pausanias décrit son agora, son théâtre, ses gymnases, son stade, son hippodrome. En 287, Démétrios Poliorcète lui rend son autonomie, c’est-à-dire lui redonne le statut de cité. Elle est alors un enjeu pour les ambitions rivales des rois et des ligues. On constate néanmoins une renaissance de son agriculture et un essor de son commerce. Elle tombe en 146 sous les coups des Romains, ses remparts sont abattus et la confédération béotienne dissoute. Révoltée contre Rome lors de la guerre de Mithridate qui fait briller pour bien des Grecs l’espoir de la liberté, elle est durement châtiée par Sylla. Lorsque Pausanias la visite, seule sa citadelle est encore habitée.
Encyclopédie Universelle. 2012.